Humilité ou faiblesse humaine?

Ami lecteur, n’as-tu jamais été accusé de manque d’humilité ? Et, bien, moi oui ! Je vous assure que c’est le genre de critique dont il est impossible de se sortir. En effet, toute tentative pour s’en défendre ne sera que pure manifestation de notre orgueil.
Cela dit, cette accusation aura au moins eu le mérite d’attirer l’attention sur cette fameuse « humilité ».
Pour bien comprendre la critique qui m’avait été adressée, j’ai, donc, ouvert mon dictionnaire. Enfin de retour chez moi car je ne me déplace pas avec mon Larousse sous le bras !
Alors, il s’agirait en somme du sentiment de notre petitesse, de notre faiblesse qui nous pousse à ravaler toute espèce de hauteur. Et bien! L’accusation n’est pas mince.
Déjà, ce qui est troublant dans un procès en humilité, c’est que l’accusation, elle, oublie totalement sa petitesse, du moins, par rapport à l’accusé. Pour accuser quelqu’un de manquer d’humilité, il faut déjà être persuadé qu’on en a plus que lui. Ce qui, dans un certain sens, n’est pas sans montrer une forme d’orgueil. Un comble !
Ensuite, ce qui m’interpelle dans l’humilité réside dans son aspect relatif. Petitesse ? Hauteur ? Mais, par rapport à quoi ? A qui ?
Si le sens laïc moderne de l’humilité évoque une soumission, sa définition dans le dictionnaire académique de 1798, la qualifie de vertu chrétienne qui donne un sentiment intérieur de grande faiblesse.
L’humilité, dans son sens religieux, c’est effectivement concevoir que nous ne sommes rien devant Dieu. Enfin, d’un autre coté Dieu est tellement grand, qu’il pourrait être envisageable d’être autre chose que rien sans pour autant faire de l’ombre aux orteils de Dieu !
Ainsi, pour l’évangile, l’humilité est la vertu à partir de laquelle toutes les autres prospèrent, elle s’oppose au plus grand des péchés capitaux : l’orgueil. C’est-à-dire avoir une opinion trop avantageuse de soi.
Résumons ! Une personne se disant intelligente, ferait preuve d’un manque de modestie si elle l’est ou ferait preuve d’orgueil si elle ne l’est pas.
Cependant, l’accuser d’orgueil nécessite ne pas avoir d’humilité afin de pouvoir mettre en exergue son manque d’intelligence. En effet, pour l’humble, tout le monde est plus intelligent que lui !
Pour en revenir aux péchés capitaux nous devons leur liste au moine Evagre le Pontique au IVème siècle. La petite anecdote veut qu’il en comptait 8 : gourmandise, luxure, vaine gloire (enflure de l’égo), avarice, colère, tristesse, acédie (ou dépression) et orgueil. C’est le pape Grégoire Ier dit le Grand (fin du VIème siècle) qui en imposa 7. Il remplaça l’acédie par l’envie et consacra l’orgueil, roi des vices en le retirant de la liste. (Bien plus tard, Saint Thomas d’Aquin dressera la liste que nous connaissons aujourd’hui)
Ce qui est intéressant, c’est que cette discussion autour des péchés capitaux remonte au Haut Moyen Age (après la chute de l’empire romain d’occident). Une période au cours de laquelle les seuls royaumes durables étaient ceux dont les rois se convertissaient au christianisme en sacralisant le pouvoir. En somme, l’homme était pris entre le devoir d’humilité « tu n’es rien devant dieu et vraiment pas grand chose devant le roi auquel il a conféré son pouvoir » et la peur de l’orgueil « si tu remets en cause ta pauvre condition de souffrance tu te condamnes à l’enfer ». Faut avouer que la perspective d’une vie éternelle de merde après une vie de souffrance, ça aidait à garder son royaume stable !
Certains, comme Nietzche, ont vu dans l’humilité un moyen de se complaire dans sa condition. De revendiquer une faiblesse qui fait accepter toutes les oppressions, une vie de souffrance. Car le plus important interviendra au-delà de la mort : « Mourrez, nous nous occupons du reste ! ».
Ainsi, l’humilité pourrait apparaitre comme une justification de la faiblesse humaine : « comme je suis incapable d’affronter la réalité telle qu’elle se présente dans sa perception psychologique, politique économique, je l’accuse de tous les maux ».
On rejette cette réalité trop complexe, cruelle et tragique. On condamne la vie terrestre (réelle) au profit de la vie après la mort (hypothétique).
La morale chrétienne va encore plus loin que le simple rejet de la vie car il ne faut pas oublier que si nous trouvons le monde si moche, c’est parce que nous sommes fautifs, vicieux, sensuels, passionnés, dominateurs et égoïstes. Le pêcher n’étant pas autre chose que l’intériorisation de la faute.
Toute autre personne voulant, un tant soit peu, valoriser cette vie, ferait preuve d’orgueil. Puisque, en effet, si cette vie est pourrie parce que nous sommes mauvais, lui trouver un intérêt c’est, donc, ne pas se voir pêcheur, du moins pas suffisamment. Cela veut donc dire faire preuve d’orgueil, le plus grand des péchés, celui dont découlent tous les autres.
Le même orgueil que Camus voit comme ingrédient nécessaire à toute révolte. Or, qu’est-ce un révolté ? Si l’on part du principe que la révolte est collective, c’est un homme qui délaisse la solitude de la repentance pour faire le choix d’une aventure collective. C’est un homme qui refuse l’abaissement de soi pour réclamer l’égalité. C’est un homme qui dit non au renoncement de la vie terrestre pour apporter un message d’espoir immédiat (et non remis à après notre mort). La révolte c’est la volonté de changer la vie ! En somme, c’est l’orgueil de dire à la morale religieuse : « occupez vous de notre vie éternelle si cela vous chante, on se charge de notre vie terrestre ! »
Rien d’étonnant, donc, que la morale chrétienne ait fait de l’humilité la plus belle des vertus et de l’orgueil le père de tous les péchés !
D’ailleurs, Sainte Catherine de Sienne (pourtant Sainte protectrice des médias en raison de son œuvre épistolaire) appelait à la plus grande humilité et à la sainte haine de soi ! Carrément ! Or, comment aimer la vie si on se hait soi-même ?
Rien d’étonnant à ce qu’elle ait été proche des dominicains. L’un des deux ordres (l’autre étant les franciscains) impliqués dans la Sainte Inquisition. Grande démonstration d’amour de la chrétienté envers ce qui est différent!
Alors si un jour, ami lecteur, on te jette à la figure ton manque d’humilité. Tu pourras,bien sûr, que ton accusateur est la réincarnation d’un moine dominicain. Mais, je te propose de penser à cette citation de Nietzsche :« L’humilité c’est un ver qui se recroqueville pour offrir moins de prise au pied qui l’écrase » en te disant que tu n’as peut être pas fait le choix de la faiblesse !

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