Bastia : le gouffre des charges de personnel

On se souvient de cette phrase du maire de Bastia pendant la dernière compagne de la municipale Bastiaise : « 𝘕𝘰𝘶𝘴 𝘢𝘷𝘰𝘯𝘴 𝘧𝘢𝘪𝘵 𝘦𝘯 6 𝘢𝘯𝘴 𝘤𝘦 𝘲𝘶𝘦 𝘥’𝘢𝘶𝘵𝘳𝘦𝘴 𝘯’𝘰𝘯𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘧𝘢𝘪𝘵 𝘦𝘯 50 𝘢𝘯𝘴 ! »

Il faut avouer qu’en matière d’opacité, c’est particulièrement vrai.

Si le dérapage budgétaire de certains programmes comme l’Aldilonda explique le retard des grands chantiers de la ville, l’accroissement de la masse salariale en est également une raison majeure.

Je vous propose une petite plongée dans l’évolution des charges de personnel de la ville.

Une augmentation spectaculaire 

Entre 2013 (dernière année de la mandature Emile Zuccarelli) et 2021, la masse salariale a augmenté de 27,2% soit 7 millions d’euros.

La masse salariale est passée de 591 € en 2013 à 673 €/habitant en 2021

Elle représente, en 2021, 66% dépenses réelles de fonctionnement contre 61% dans la moyenne des communes équivalentes.

Si les dépenses de fonctionnement étaient dans la moyenne, la ville disposerait de 1,54 millions de plus pour financer les charges de fonctionnement ou les investissements.

Porté par l’inflation des charges de personnel, le rythme d’augmentation des charges est trois fois plus rapide que celui des recettes de gestion.

Comme le souligne la chambre régionale des comptes, la hausse des charges de gestion entre 2012 et 2019 s’explique surtout par la progression continue et particulièrement soutenue des charges de personnel.

Les explications sont doubles :

  1. Forte majoration du régime indemnitaire alloué aux agents en fonctions

A partir de 2017, il a été créé un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) étendu à la fonction territoriale par la loi du 20 avril 2016.

La mise en œuvre du nouveau régime indemnitaire visait en effet prioritairement à garantir à chaque agent le maintien du montant d’indemnités perçu avant l’institution du RIFSEEP.

Cependant, la commune a décidé que le régime indemnitaire de l’ensemble des agents de chaque groupe de fonctions constitué serait progressivement aligné sur le régime indemnitaire antérieur le plus favorable dont bénéficiait l’agent le mieux rémunéré dudit groupe.

Ce faisant, elle a donc institué un mécanisme d’évolution généralisé à la hausse des indemnités versées

Dans le même temps, la commune a choisi de minimiser le poids financier lié au versement de la seconde part du RIFSEEP, à savoir le complément indemnitaire annuel (CIA) qui vise à tenir compte de l’engagement professionnel ou de la manière de servir de l’agent apprécié lors de l’entretien professionnel annuel.

La ville a donc procédé à une augmentation du régime indemnitaire sans l’utiliser pour améliorer l’implication et remercier l’engagement des agents les plus performants.

Ce qui était contraire à l’esprit de la réforme.

2. Un effectif total en augmentation

L’effectif total employé par la commune a très fortement augmenté entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2019.

La chambre régionale des comptes fixe cette augmentation à 136 agents soit une augmentation des effectifs de 22%.

En tenant compte des transferts de personnel, c’est la filière administrative qui a été la plus dotée avec 46 agents titulaires supplémentaires entre le 01/01/2012 et 31/12/2019.

On a beaucoup entendu parler de ces 14 agents recrutés juste avant l’élection municipale de 2014 (mandature Emile Zuccarelli).

Ils ont fait couler beaucoup d’encre car le préfet de la Haute-Corse a demandé au maire alors en fonctions (Gilles Simeoni) de procéder au retrait d’arrêtés de recrutement au motif de leur illégalité.

Une polémique qui ressort dès qu’est évoquée l’inflation de la masse salariale et qui permet de cacher une tout autre réalité.

  • Entre 2012 et 2014, il a été recruté 50 agents : 39 titulaires (dont les 14 évoqués ci-dessus) et 11 non titulaires
  • Entre 2015 et 2019, il a été recruté 86 agents : 7 titulaires et 79 non titulaires

Ces agents non titulaires, de catégorie C, sont des agents publics qui ne sont pas fonctionnaires. Leur recrutement s’effectue sans concours et n’entraîne pas leur titularisation. Ils sont en CDD et donc dans une situation précaire.

L’absence d’obligation de concours offre plus de possibilité de recruter qui l’on veut.

Le nombre de mois complets travaillés par l’ensemble des agents non titulaires (hors vacataires) employés durant une année, est passé de 577 en 2012 à 1 338 en 2019, soit une hausse de 132%.

A ces agents non titulaires s’ajoutent les vacataires qui, eux, ne sont rémunérés qu’à la tâche à la différence d’un agent titulaire ou non titulaire qui perçoit un salaire.   

Ces vacataires étaient 74 en 2019 contre 55 au 1er janvier 2012.

Depuis 2015, la majorité actuelle a accru les embauches en misant sur une précarisation qui est passée de 14,2% en 2012 à 24.6% de l’effectif en 2019.

Tour de passe-passe avec le CCAS

Le centre communal d’action sociale a permis l’un des plus beaux coups de communication de la majorité municipale.

En matière d’affichage, elle a pu se vanter d’avoir doublé la subvention du CCAS et maitrisé la masse salariale de la mairie.

  • Jusqu’à l’année 2017, la mairie allouait une subvention de 600 000 € annuelle au CCAS et prenait en charge le personnel qui était rattaché au budget principal.
  • A partir de 2018, le CCAS a pris en charge la rémunération des agents du service d’action sociale et la subvention versée par la mairie a été augmentée pour compenser cette prise en charge.

De ce fait, en 2018, les charges de personnel n’ont augmenté que de 1% par rapport à 2017 (soit + 275 267 €). L’une des plus faibles augmentations de la période 2012-2019.

Et la subvention du CCAS en 2018 a été de 1,24 millions d’euros plus du double de celle versée habituellement.

Donc cela donnait à penser à une maitrise de la masse salariale et une prise en considération de la question sociale.

La réalité est totalement différente :

En prenant en compte les agents transférés, les charges de personnel ont augmenté de 3% (soit 891 267 €) par rapport à 2017.

Et le CCAS a dû faire face à des charges de personnel de 616 000 € ce qui veut dire qu’il n’a pas disposé d’un euro de plus pour ses usagers.

La majorité a simplement transformé une partie des charges de personnel en une subvention.

Pire ! Depuis 2018, les charges de personnel du CCAS ne cessent de croitre alors que la subvention de la mairie n’augmente pas !

Ainsi entre 2018 et 2021, la subvention versée par la mairie a augmenté de 1%/an alors que les charges de personnel du CCAS ont explosé passant de 872 494 € en 2018 à 1 160 399 € en 2021 (soit une augmentation de 10,1%/an)

En 2021, les charges de personnel du CCAS représentaient 92,1% de la subvention de la mairie contre 70,36% en 2018.

Dit autrement, la subvention versée par la mairie sert dans sa presque totalité à payer les salaires.

Pendant ce temps, malgré le COVID, les « aides de secours » consacrées à l’aide alimentaire ou financière sont passées de 244 725 € en 2018 à 130 085 € en 2021 (soit une baisse de 47%). Le nombre de foyers ayant bénéficié de ces aides a baissé de 835 (2018) à 526 (2021)

Conclusion

La mairie de Bastia est devenue une machine à créer de l’emploi précaire en faisant exploser les charges de personnel.

Ces dernières pèsent très lourdement sur les finances de la commune et diminuent sa capacité d’investissement.

Au lieu de prendre la mesure du problème, la majorité municipale use d’artifices en transformant une partie de sa masse salariale en subvention au détriment d’une structure comme le CCAS. Un CCAS pourtant vital dans une ville au taux de pauvreté de 23% (+5% par rapport au taux régional).

Comme le note la chambre régionale des comptes, il resterait une marge de manœuvre avec les départs à la retraite et en diminuant l’absentéisme et en ne remplaçant que les titulaires.

Il faudrait développer une véritable politique de ressource humaine afin d’identifier les besoins en personnel immédiat et à venir et en misant sur des redéploiements internes et non des recrutements externes.

A défaut, la ville sera dans l’obligation d’actionner le levier fiscal et de continuer à freiner les investissements.

Mais pour le moment, la ville en est réduite à n’être qu’un bidule électoraliste voué à la conservation du pouvoir au niveau régional au grand préjudice de l’intérêt de ses habitants !

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