Si je fais cette comparaison, c’est parce que la conséquence de la condamnation de la CdC porte à son paroxysme le bras de fer engagé par l’exécutif de Corse avec l’Etat.
Payer cette condamnation serait mettre la Corse à genoux. Payer cette condamnation serait supprimer l’aide aux communes dans un contexte de crise sociale et économique.
Ne pas s’acquitter de la condamnation devient donc un acte de résistance absolue. Et, on le sent, nous ne sommes pas loin d’un appel à la rue dans l’espoir d’une mobilisation digne de la contestation contre l’affaire des boues rouges qui secoua la Corse.
Il convient tout de même de souligner que ce n’est pas l’Etat qui réclame le paiement des 86 millions d’euros, c’est la justice. Et, même si dès fois on peut en douter, il y a séparation des pouvoirs. Le pouvoir exécutif ne saurait contraindre le pouvoir judiciaire. Et, en la matière, on voit mal pourquoi le premier volerait au secours de la Corsica Ferries en manipulant le second.
En revanche, un dispositif prévu dans le code général des collectivités territoriales contraint le préfet a exécuté un mandatement d’office s’il est saisi par la Corsica Ferries. Ce qui a été fait.
Dès lors, on peut tout attendre d’un Préfet sauf à le voir contourner la loi… La dernière fois que cela a été le cas, c’était avec le Préfet Bonnet.
La DSP incriminée est celle courant de 2007 à 2013 votée par l’assemblée de Corse le 7 juin 2007.
Ange Santini président du conseil exécutif ne disposait que d’une majorité relative 19 sièges sur 51. La gauche, elle, en totalisait 24 et les nationalistes 8. Au total, 9 partis politiques étaient représentés dans l’hémicycle territoriale.
La délibération fut adoptée par 41 voix sur 43 (2 abstentions). Le groupe nationaliste n’a pas pris part au vote au motif qu’il souhaitait la création d’une compagnie régionale et que la DSP n’était donc pas opportune.
Au final, l’offre du groupement SNCM CMN a été retenue.
La SNCM, à cette époque, naviguait à vue. En 2005, Butler Capital Partner venait d’acquérir la majorité du capital de la compagnie maritime (l’Etat restant actionnaire minoritaire).
L’obtention de la DSP était essentielle à la survie de l’entreprise et tous les observateurs s’accordaient à dire que la SNCM ne pouvait pas perdre ce marché. Ce qui a été confirmé par Walter Butler lui-même lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire en 2013 sur les conditions de la privatisation de la SNCM.
Si l’Etat était partie prenante, il ne faut pas oublier la pression des syndicats CGT et STC car de nombreux emplois y étaient en jeu.
De nombreuses pressions ont dû peser dans le choix des élus territoriaux mais penser que l’Etat aurait eu le monopole de cette pression exercée sur 41 élus issus de 7 partis différents ne parait pas l’hypothèse la plus crédible. Et, il s’agit d’une accusation lourde à l’encontre d’élus dont certains continuent à siéger à l’assemblée de Corse.
Quelques années plus tard, après de multiples procédures, la Corsica Ferries fait une requête enregistrée par le TA de Bastia le 27 avril 2015 et la compagnie dépose des mémoires les 15 février et 16 septembre 2016.
La collectivité territoriale de Corse a, elle, produit des mémoires en défense les 15 décembre 2015 et 6 janvier 2017.
- Le 26 janvier 2017, le TA de Bastia condamne la CTC à payer 84 millions d’euros à la Corsica Ferries.
- Le 12 février 2018, la cour administrative de Marseille décide d’un sursis à l’exécution du jugement jusqu’à ce qu’il ait été statué sur l’appel de la collectivité territoriale de Corse et également d’une expertise avant de statuer sur le montant de l’indemnité.
- Le 22 février 2021, la cour administrative de Marseille condamne la CDC à verser une indemnité de 86 millions d’euros à la Corsica Ferries
- Le 29 septembre 2021, le conseil d’Etat décide que le pourvoi de la collectivité de Corse n’est pas admis rendant ainsi la condamnation définitive.
Si la majorité actuelle n’a pas de responsabilité dans l’élaboration de la DSP 2007-2013 elle a été impliquée dès le début de la procédure judiciaire qui a abouti à la condamnation de 86 millions d’euros.
Il apparait dès lors étonnant qu’elle se soit embourbée dans une procédure pour défendre ce qu’elle qualifie « d’erreurs du passé » au lieu de tenter une transaction qui aurait pu lui faire économiser de l’énergie, du temps et surtout de l’argent.
Au nom du principe de la continuité de l’Etat, un gouvernement doit assurer les engagements pris par celui qui l’a précédé et en assumer les conséquences.
Il en va de même pour une majorité territoriale à l’échelle de la Corse.
Sinon à un Gilles Simeoni qui refuse de payer pour les erreurs du passé, Emmanuel Macron pourrait rétorquer qu’il n’a pas à assumer les erreurs commises sous la présidence de Jacques Chirac.
La loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse a donné pleine compétence à l’Assemblée de Corse pour l’organisation du service public des transports entre la Corse et le continent. La CdC est de ce fait pleinement responsable des DSP.
C’est d’ailleurs ce qui a fait dire à Gilles Simeoni « L’Etat est très gentil et nous dit « ah, mais non, vous n’avez pas à payer ». Oui, mais le jour où on ne paie pas et où il y a une procédure de manquement, c’est nous qui paierons l’amende. C’est un point tout à fait essentiel »
C’était lors de la séance publique du vendredi 6 Septembre 2013 à l’occasion du débat sur l’attribution de la délégation de service public de transport maritime de passagers et marchandises entre Marseille et les ports de la Corse »
Cette clairvoyance rend encore plus incompréhensible le fait qu’il n’ait pas entamé, quelques années plus tard, parallèlement à la procédure judiciaire, des négociations avec tous les acteurs du transport maritime et l’Etat. Cela aurait d’autant plus judicieux que toutes les DSP suivantes font également l’objet de procédures contentieuses pouvant amener d’autres condamnations.
Au lieu de cela, nous avons droit à un bras de fer avec la Corsica Ferries en lui faisant porter le chapeau des conséquences de la mise en œuvre d’une condamnation définitive et avec l’Etat à qui il est réclamé le paiement des 86 millions d’euros.
Rappelons que le temps joue contre la Corse car la non-exécution du versement génère 14 300 € d’intérêts supplémentaires par jour. Soit, chaque jour, 36% de plus que le revenu d’une année des 10% des revenus les plus bas de Corse.
Il faut des négociations et un travail collectif pour trouver un équilibre réaliste des intérêts sur lequel seulement peut se fonder une Corse sereine. Dans ce dossier nous n’avons eu ni l’un ni l’autre avec pour conséquence que le seul intérêt toujours sacrifié soit celui des Corses.