Souvenirs de ma grand-mère, l’histoire de mon peuple

Lorsque je me rappelle ma grand-mère, je me souviens de son attachement à son appartement.

Ce n’était pas un gout pour la propriété mais surtout pour ce qu’il représentait.

De milieu modeste mes grands-parents avaient tout d’abord acquis le petit logement du palier. Et à force d’économie, ils avaient pu acheter l’appartement voisin.

Sa maison c’était l’histoire de sa vie. Il était rempli de souvenirs.

Son jeune couple, la naissance de ses fils, ses espoirs, ses peines, ses joies…

Mon grand-père, que je n’ai pas beaucoup connu, avait lui-même fabriqué les meubles de cette maison. Il travaillait comme menuisier dans les chemins de fer de la Corse.

Je me rappelle ses portraits et cette sensation que j’allais le voir surgir à tout moment d’une pièce pour me proposer d’aller boire une limonade à la Fourmi tenue par mon grand-oncle Arthur. Je suis trop jeune pour avoir connu la grande époque de cet endroit qui a fait danser de nombreux Bastiais.

Je me souviens de cette odeur de chicorée quand ma grand-mère préparait le café pour ses invités ou encore de l’odeur des meringues dont, enfant, je raffolais.

Oui, elle vivait au milieu de tous ses souvenirs. C’était son chez-elle, son histoire, sa vie.

Alors, quand j’ai visité certains logements de la cité des monts, j’ai retrouvé un peu de ma grand-mère. Il est évident que ces immeubles ne sont pas des prouesses architecturales.

Mais lorsque les locataires nous proposaient de rentrer chez eux, c’était le livre de leur vie qu’ils nous ouvraient.

Des portraits des défunts, des photos de leurs enfants, c’était chargé de beaux souvenirs. Et cela rendait ses appartements émouvants et uniques.

Ils n’en sont pas propriétaires mais ils détiennent la mémoire de ces lieux. Ces logements ont une âme. Ils ne constituent pas un patrimoine historique mais ils sont incontestablement un patrimoine humain.

L’histoire de notre peuple ne résume pas à celle des personnages illustres. C’est également la somme des histoires des personnes qui le composent.

Notre bien le plus précieux ce sont nos souvenirs et, en particulier, les plus heureux. C’est bien une chose qu’on ne peut pas nous enlever.

Pourtant c’est ce que la mairie de Bastia se propose de faire, dans le cadre du PNRU, en détruisant 104 logements de la cité des monts.

En quelques secondes, les souvenirs de centaines de vie vont être réduits en cendre. Il ne restera plus rien des signes d’amours d’un conjoint disparu. Il n’y aura plus de trace des sourires d’enfants jouant dans le salon.

Et au nom de quoi ?

Parce qu’on veut une route droite au lieu de lui faire faire un virage pour contourner un immeuble ? Parce qu’on l’on veut implanter des commerces en pied d’immeuble ?

Au nom d’un urbanisme sans cœur, au nom d’une vision peu imaginative de l’économie, on va déraciner des gens.

Ils vont être relogés nous dit-on. Ils seront mieux installés. Mais de quel droit décide-t-on qu’un logement un peu plus neuf vaut autant que les souvenirs d’une vie entière.

Ces personnes dont certaines sont au crépuscule de leur vie vont perdre ce qu’ils avaient de plus cher, ce qu’elles pensaient qu’on ne leur retirerait jamais. Elles vont y laisser l’histoire de leur vie.

Quelle violence pour ces personnes de voir que l’on peut se réjouir de la destruction de leur histoire comme si elles n’avaient jamais existé.

Quelle violence d’entendre certains qualifier leur logement de verrue sans se rendre compte qu’ils salissent leur mémoire. Comme si le fait de vivre dans une HLM retirait le droit d’y posséder de beaux souvenirs !

Quelle violence dans ce décalage entre des élus satisfaits qui rentrent dans leur demeure et ceux dont on va réduire en cendre ce qui n’est rien de moins que leur histoire.

Quelle violence dans le fait d’habiter quelque part depuis des décennies et soudain de voir disparaître un logement dans lequel un ami, un amour de jeunesse a existé.

Anne Lacaton (architecte, prix Pritzker 2021) a dit « la rénovation urbaine c’est avant tout une histoire de cœur et de… gentillesse ».

Force est de constater qu’avoir du cœur ou de faire preuve de gentillesse demande un courage politique que certains n’ont pas.

Le jour où ces 104 logements seront réduits en poussière, j’aurais une pensée émue pour ceux dont on aura détruit l’histoire.

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