De résistant par choix à résistant aux choix…

Le 30 août était l’anniversaire de la mort du résistant Jean Nicoli. A cette occasion, bon nombre de messages ont fleuri sur les réseaux sociaux pour saluer sa mémoire. Mais faire honneur à ce héros, comme aux autres résistants, c’est surtout s’intéresser à ce qui l’a conduit à choisir une cause au péril de sa vie.

Il fut l’un des résistants de la première heure. Comme toujours avec ces grands hommes, ce qui impressionne c’est le courage avec lequel ils ont fait leur choix.
Jean Nicoli livre ses motivations dans une lettre écrite à ses enfants sur un emballage d’un paquet de cigarette :

« … Ne pleurez pas, souriez-moi. Soyez fiers de votre papa. Il sait que vous pouvez l’être, la tête de Maure et la fleur rouge, c’est le seul deuil que je vous demande… Je meurs pour notre Corse et pour mon Parti.»

Nous aimerions, pour la plupart d’entre nous, avoir la certitude que dans les mêmes circonstances nous serions capables d’une même bravoure. Mais espérons que nous n’aurons plus à vivre de telles périodes car cela voudra dire que nous aurions trahi l’espoir de Jean Nicoli :

« Nous espérons que notre sang […] vous donnera l’espoir en des jours meilleurs que nous sentons proches, nous qui mourons»


Si je parle de choix c’est parce que les résistants n’ont constitué qu’une faible partie de notre population. Le choix inverse a été celui des collabos (qui fut un extrême opposé) et beaucoup ont refusé de choisir en faisant le dos rond le temps que cela passe.

Quel est notre capacité à faire un choix ?

La question mérite d’être posée. Dans notre société de consommation, depuis que l’offre est devenue supérieure à la demande, nous devenons avant tout des consommateurs, des « homo consommatus ».
La publicité, le marketing sont censés influer sur notre libre arbitre et déterminer nos choix, même les plus futiles, en matière de consommation.
On se souvient de ces propos de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1 : « Il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation (…) de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. ». Un véritable vendeur de temps de cerveau disponible…

Il apparaît bien plus facile de paraitre que d’être. Or, ce paraître n’a de sens que dans le regard de l’autre. Ce « moi projeté » devient plus important que le « moi réel ».
C’est ainsi que les messages publicitaires orientent nos choix : telle voiture, tel vêtement, tel déodorant etc etc…
Bien entendu, il ne s’agit là que de choix qui impactent notre porte-monnaie et en dehors d’un abus de consommation ils n’auront pas une réelle influence sur notre vie. Si on se trompe, la fois suivante, on s’oriente vers un autre produit ou vers une autre marque.

En revanche, il existe bien des choix qui sont de nature à influer sur le reste de notre vie. Je l’ai évoqué pour les résistants mais même en période de paix, il reste des choix de cette nature : refaire sa vie ailleurs, choisir la personne avec qui faire un bout de chemin, choisir de la quitter…
Ce sont des choix de nature à changer radicalement notre quotidien…
Choisir, c’est abandonner tous les possibles sauf un mais si nous faisions fausse route ?
Quitter une vie insatisfaisante mais que l’on connait pour une vie inconnue prometteuse mais incertaine…
En pareilles circonstance, nous pouvons nous interroger sur notre libre arbitre. Nous sommes indéniablement influencés par notre déterminisme. Nous choisissons en fonction d’une chaine d’évènements antérieurs vécus
Nous sommes déterminés par le poids de notre entourage, notre culture, nos croyances, notre vécu.
Mais rompre avec ce que l’on connait pour aller vers l’inconnu crée une angoisse qui peut pousser à ne pas vouloir choisir. Il est simple de prendre comme prétexte à un refus de choix le désir de ne pas décevoir (son entourage par exemple). On incriminera, avec fatalisme, une absence de choix (je n’ai pas le choix) ou le destin.
C’est assez paradoxal puisque par peur de l’inconnu qui promet un bonheur incertain on se sacrifie pour un bonheur insatisfaisant.
Choisir c’est oser exister mais on préfère devenir un martyr du non choix. Du résistant par choix, on est passé à résistant au choix.

Dans le monde du prêt-à-porter, du prêt-à-consommer, du prêt-à-tout, « l’homo consommatus » accoutumé à une multitude de choix futiles (Axe ou Mennem, Zara ou H&M…) refuse l’angoisse du vrai choix, celui qui propose un avant et un après.
D’ailleurs, même la politique s’est abaissée à ne plus être qu’une affaire de communication. Les convictions ont été sacrifiées sur l’autel des sondages. Pour l’homme ou la femme politique la ménagère de plus ou de moins de 50 ans devient aussi importante que pour telle ou telle marque de réfrigérateur.

En 20 ans, nous sommes passés de « droit de réponse » de Michel Polac à la politique spectacle qui se pavane dans « tout le monde en parle » de Thierry Ardisson. Des plateaux enfumés où les politiques venaient exposer avec passion leurs convictions quitte à déplaire et faire voler des cendriers, nous en sommes arrivés à « sucer est-ce tromper ? » adressé à Michel Rocard.

« Arrivons au pouvoir, les convictions on verra plus tard » s’est imposé comme mot d’ordre. C’est qu’une conviction imposerait à l’électeur de faire un choix.
Le candidat à une élection devient un produit marketing. Il fait sa promotion (modernité) tout en détruisant l’image de ses opposants (rétrogrades). Le concept idées contre idées est devenu obsolète.
On en vient à choisir son candidat comme on choisit un pull dans un Zara.

Certains ne s’engagent pas en politique pour défendre des idées mais dans le seul but d’appartenir à un groupe. Ils y adhèrent comme on deviendrait groupie d’un groupe musical en vogue. Seuls comptent les signes d’appartenance, les idées ont une importance toute relative. Cette adhésion ne reposant presque pas sur des convictions, ils vont le défendre avec agressivité. Plus ils mettront d’ardeur à détruire les opposants plus ils auront l’impression de prouver leur utilité à leurs congénères.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que de plus en plus de gens se détournent de la politique trouvant ce spectacle pitoyable. Cependant, l’abstention conséquence du désintérêt, qui est encore un refus de choisir, loin de sanctionner ceux que l’on croit pénaliser, les favorise. Rien n’est pas plus facile, peur eux, d’être élus si seuls leurs « groupies » votent.

Dans notre société, entre notre peur de l’inconnu qui nous pousse à refuser de choisir et notre temps de cerveau disponible que l’on cherche à commercialiser, nous devenons aussi prévisibles que les moutons d’un troupeau.
Il serait peut-être temps d’oser. Oser choisir, oser accepter, oser refuser. Ne plus rester dans le « ni oui ni non » ou le « oui mais non ».

Le choix est à notre libre arbitre, ce que la matière est à l’outil. Refuser de choisir c’est rendre notre libre arbitre inutile, c’est renoncer à exister.
Si la vie, comme réalité biologique élémentaire, caractérise aussi bien la plante que l’animal ou l’homme, seul ce dernier peut être qualifié d’existant. Il est le seul être vivant en mesure de réfléchir sur son existence.
En somme, exister, c’est agir, c’est faire des choix, se dépasser soi-même.

Peu importe que nous nous trompions, si l’erreur permet de se sentir exister. Et puis comme le disait Confucius :

« La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute »

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