« Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose »
Ces quelques mots sont tirés de la lettre de Guy Môquet mort fusillé à 17 ans. Cette lettre tout le monde la connait, l’a lue et il faudrait être insensible pour ne pas trouver émouvantes ces lignes qui se concluent par «je vous embrasse de tout mon cœur d’enfant».
Mais nous lui devons peut-être beaucoup plus que quelques larmes. Comment un enfant, aux prémices de sa vie en arrive-t-il à souhaiter que sa mort puisse être plus utile qu’une existence à peine consommée ?
Exprimer un tel souhait témoigne qu’il a, en à peine 17 ans, vécu beaucoup plus que bien d’autres qui ont eu la chance d’avoir une longue vie.
Tout d’abord parce qu’il a su faire un choix. Il a su donner un sens à sa courte existence. Celui de se battre pour une idée. C’est en son nom qu’il a fait don de sa vie. Et, préserver cette idée lui aurait permis une forme d’immortalité.
Or, qu’avons-nous fait ? Qu’avons-nous fait de son désir d’immortalité ?
Nous avons usé de notre liberté pour ne plus avoir à nous interroger sur le sens même de notre existence. Ce faisant, nous avons choisi l’illusion de liberté à la liberté elle-même.
Tel des junkies nous nous vautrons dans une société de consommation outrancière. Cette dernière crée des besoins à l’infini et nous permet d’atteindre une satisfaction en les comblant. Et, plus nous sommes en mesure de les satisfaire plus nous atteignons une forme de nirvana.
Avoir un boulot pour acheter sa petite maison, un canapé et les deux fauteuils qui vont avec, une télévision toujours plus grande.
Choisir sa voiture, son électroménager, choisir ses fringues, son smartphone, le tout à crédit.
Choisir notre mutuelle, notre retraite complémentaire, choisir l’ehpad où finir nos jours, notre assurance décès, nos propres obsèques.
Nous avons docilement opté pour une liberté falsifiée qui se résume à des choix futiles.
Certains n’hésitent pas à exprimer leur dégoût de la politique comme étendard de leur pseudo contestation. Comme si les politiques qu’ils dénoncent en avaient quelque chose à faire, bien au contraire ils s’en réjouissent, ils s’accaparent un pouvoir sans même avoir besoin d’une armée.
D’autres font de la politique non plus pour défendre des idées mais dans le seul but d’appartenir à un groupe. Un groupe que l’on choisit non pas en fonction de ses convictions mais en surfant sur des effets de mode. Un groupe dont ils deviennent les défenseurs les plus fielleux.
La léthargie dans laquelle nous plonge notre addiction nous rend inaptes à toute forme de révolte. Tel un troupeau de vaches, nous broutons en refusant d’ouvrir les yeux et nous sommes prêts à nous laisser guider vers l’abattoir pour peu que l’on nous promette une herbe plus verte.
Nous avons abandonné toute idée de révolte. Une idée ne survit qu’en se propageant. Et, elle ne se propage qu’en discutant. Or, celui qui veut réfléchir, échanger se trouve marginalisé. Pas assez drôle, pas assez fun, trop ennuyeux.
La révolte est avant tout le refus de cette solitude collective au nom du « nous » car c’est l’aventure de tous : « Je me révolte, donc nous sommes ». Elle est aussi le courage de dire « non » sans renoncer pour autant.
Mais l’air du temps est au bavardage et non à la discussion, à la futilité et non au sens. Le plaisir, rien que le plaisir pour ne pas prendre le risque de se confronter à l’absurdité de son existence.
Pierre Desproges a écrit : « Le but de l’homme moderne sur cette terre est à l’évidence de s’agiter sans réfléchir dans tous les sens afin de pouvoir dire fièrement à l’heure de sa mort: je n’ai pas perdu mon temps »
Mais à l’heure de notre mort, nous pourrons également nous dire que ce « cœur d’enfant», celui de Guy Moquet, a cessé de battre cette fois pour l’éternité.