Corse: et si nous changions de paradigme?

Si j’osais le trait caricatural, je dirais qu’en Corse nous mettons de l’idéologie dans tout et du pragmatisme dans rien.

Il s’y applique une forme de syllogisme. Les Corses aiment et défendent leur terre; tu aimes et défends ta terre, donc tu es Corse. Sous entendu, si tu ne la défends pas, tu n’es pas digne d’être corse.

Fort de ce syllogisme, une tendance écologiste s’est imposée. Elle est réfractaire aux projets économiques et adepte de la décroissance. Sauf que la décroissance en Corse où tentent de survivre plus de 60 000 personnes sous le seuil de pauvreté, ce serait comme défendre un plan anti obésité en Érythrée où sévit la famine.

Les personnes qui composent cette tendance se voient comme les arbitres des valeurs corses puisqu’elles défendent la terre. Elles sont incapables de voir la métonymie (à ne pas confondre avec la mythomanie assez répandue chez nous). En effet, le mot terre ne désigne pas uniquement le sol mais également ses habitants. On utilise le contenant (la terre) pour désigner le contenu (ses habitants).
L’île sans ses habitants ne serait qu’une montagne dans la mer. Et aussi liés soient les habitants avec la terre sur laquelle ils vivent, ce sont eux qui sont garant de l’âme d’un lieu et non l’inverse.
En d’autres termes, entre la grande patelle, la posidonie, les espaces stratégiques environnementaux avec leurs corridors destinés à favoriser la reproduction d’espèces et l’être humain, c’est ce dernier qui doit être au centre de nos intérêts.

Nous pouvons faire les deux, m’objecterez vous à raison! Oui, c’est vrai… Sauf que le symbole de la terre (la sacralisation de la terre) écrase la préoccupation de l’intérêt général qui, lui, concerne les habitants.

D’ailleurs a-t-on en Corse, la notion de l’intérêt général?
L’intérêt particulier passe devant l’intérêt de son village ou de sa commune qui passe devant celui de sa micro région qui passe devant l’intérêt général.
L’intérêt particulier passe également devant l’intérêt partisan et ou militant qui passe devant l’intérêt général.
La gestion des déchets est la démonstration même de la faillite de la notion de l’intérêt général. Ce sont les intérêts particuliers et/ou partisans qui ont primé. Les sites d’enfouissement c’est un peu le tapis sous lequel on a glissé la poussière mais qui génèrent des intérêts, eux, bien particuliers et lucratifs.

Je fais partie de cette génération qui n’avait que 2 ans au moment des événements d’Aleria.
Je fais partie de cette génération qui a vécu le paroxysme de l’antagonisme entre militants. Antagonisme entre militants républicains et nationalistes, antagonisme entre militants nationalistes eux-mêmes.
Des antagonismes qui ont engendré leurs lots de drames et de malheurs.
Pourtant entre Corses républicains, Corses indépendantistes et Corses autonomistes, il y a un point commun qui saute aux yeux! C’est le mot « corse ».
J’ai envie de faire partie d’une génération qui saurait mettre en avant ce point commun au nom de l’intérêt de général. Et qu’il soit républicain, autonomiste ou indépendantiste, le militantisme doit s’effacer devant l’expression de cet intérêt général.
Que la Corse reste dans le giron de la République, qu’elle devienne autonome ou indépendante, il y a obligation de faire un bout de chemin ensemble pour sortir l’île de l’ornière sociale et économique dans laquelle elle se trouve.

En Corse, nous sommes assez forts pour dénoncer certains intérêts particuliers. Ceux qui poussent certains à privatiser le littoral, ceux qui permettent à certains de s’enrichir avec le tourisme de masse…
Nous sommes un peu moins doués, à cause d’un mélange de crainte (justifiée) et d’admiration (inadmissible), pour dénoncer les intérêts mafieux, qui gangrènent notre île.
En revanche, nous sommes incapables de nous unir pour défendre un intérêt général.
Cette incapacité explique, par exemple, pourquoi nous avons laissé déclasser la ligne de chemin de fer orientale au lendemain de la guerre.
Cette incapacité explique l’impossibilité de nous doter d’un réseau routier pourtant essentiel à notre développement et malgré des centaines de millions d’euros.

Alors que la défense de la posidonie a donné lieu à des joutes verbales, certaine fois, d’une violence étonnante, l’installation d’un monopole dans la distribution des carburants en Corse ne mobilise que très peu.
Pourtant, et en raison d’un maillage de transport en commun quasi nul, la cherté des carburant entraine une injustice sociale flagrante. En 2015, selon l’INSEE, 28 % des ménages corses – soit près de 36 000 personnes – étaient en situation de vulnérabilité énergétique pour leurs dépenses de carburant. Compte tenu de l’évolution des prix, on devine que ce pourcentage n’a cessé d’augmenter.
Dans une Corse frappée par la pauvreté, la précarité et le chômage, les plus fragiles ont fait le choix d’habiter loin de leur travail afin de trouver des logements plus abordables. Et, ce sont eux, aujourd’hui qui sont frappés par la hausse des carburants et l’écart croissant des prix avec le continent.

L’autre jour, j’ai vu une mère de famille payer avec un billet de 20 euros son carburant. Elle l’a fait presque honteusement à la va-vite. 20 euros c’est un peu moins de 13 litres de gazole. On imagine combien elle doit compter le moindre litre dépensé.
Pendant ce temps, les actionnaires des dépôts pétroliers de la Corse, DPLC, (en particulier Rubis qui détient 75%), eux, comptent leurs dividendes. DPLC c’est une augmentation du résultat de 521% en 6 ans. C’est également des dividendes de plus de 2 millions en 2014 et qui ont augmenté de 112% en 3 ans. DPLC facture le stockage à Vito, Total et Esso qui le répercutent dans le prix à la pompe.
Pour ceux qui veulent en savoir plus: Agissons contre la cherté des carburants en Corse
Que l’on soit républicain, autonomiste ou indépendantiste, nous ne pouvons regarder avec fatalisme ce type de situation.

Depuis que je suis enfant, j’entends les républicains affirmer que nous ne pouvons rien faire en Corse tant qu’il existera des aspirations indépendantistes et autonomistes, les indépendantistes affirmer que l’indépendance est le préalable à toute action constructive et les autonomistes affirmer que les choses ne pourront se réaliser qu’avec l’autonomie.

Je veux faire partie d’une génération capable de tourner cette page. Il est temps de consacrer nos efforts à expliquer comment on va le faire et non de les gaspiller pour expliquer pourquoi on ne peut pas le faire.
Il ne s’agit pas de renoncer à nos convictions profondes mais, simplement, de ne plus croire que seul les solutions émanant de notre « camp » idéologique sont les bonnes.

C’est peut être le changement le logiciel dont la Corse a besoin

2 commentaires

  1. bonjour Monsieur POLETTI,
    J’étais présent à la 1ère réunion à la salle polyvalente de Biguglia et j’ai laissé mes coordonnées écrites mais à ce jour je n’ai reçu aucun contact.
    1. Cela m’aurait permis d’échanger avec le collectif sur plusieurs informations qui me semblent capitales pour comprendre la formation des prix du carburant en corse.
    pour un prix de vente à 1,60 € à la pompe:
    > TVA 13% 18,3 cts
    > Parafiscalité, TICPE 67 cts
    > DPLC, Rubis , Vito, Total 2,8 cts
    > Transport camion 1,5 cts
    > Marge 17,5 cts
    > Produit ( achat à Fos ) 51,5 cts
    > Transport maritime 1,5 cts

    > Prix total d’un litre : 160,1 cts

    chercher l’erreur, on va vite compris que les marges représentent une part exorbitante.
    Avez vous évoqué cette problématique ? , que vous a t-on répondu sur les marges des stations quand on sait que les 150 stations ont délivré 310 millions de litres ce carburant en 2010, à raison de 17,5 cts / litre de marge brute on a vite trouvé le chiffre d’affaire moyen réalisé par station. La poule aux œufs d’or est à chercher en majorité de ce côté là.
    D’ailleurs, les surmarges des stations de la région bastiaise sont clairement identifiables quand on les compare aux 5 à 6 stations de la région de la plage d’Alistro et Folelli : + 7 à 9 cts selon les carburants. ( en apparté, je vous donnerais une autre information qui démontre l’avidité de certains distributeurs de carburants )

    2. Je voulais aussi évoquer un projet de loi porté par Grégory BESSON MOREAU député LaREM de l’Aube, soutenu pas 44 autres parlementaires, il veut obliger chaque station service de l’hexagone à disposer d’une offre de superéthanol au 31 déc 2019 et les fabricants français d’automobiles de disposer d’une offre de motorisation adaptée.

    Quelle sera le positionnement de nos 4 parlementaires corses sachant que le manque à gagner en TICPE pour notre région serait important puisque ce carburant 100% made in France est fortement détaxé. ( le coût de fabrication d’un litre est quasiment identique à celui d’un litre d’origine fossile, ce sont les taxes qui font l’écart de prix à la pompe , 0,65 cts en moy. sur le territoire ) .

    Une idée que vous pourrez soumettre lors de la prochaine réunion avec nos élus et les acteurs de la filière s’ils sont invités afin d’accrocher le wagon à la locomotive ce qui permettrait pour une fois de ne pas être distancé au lancement des premières mesures si la loi est votée avec son décret d’application.

    http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion1466.asp

    Cliquer pour accéder à pion1466.pdf

    PROPOSITION DE LOI

    Article 1er

    À compter du 31 décembre 2019, toutes les stations-services doivent être équipées de distributeurs de superéthanol.

    Article 3

    Les industriels français ont obligation de proposer une motorisation fonctionnant en base au superéthanol dans leur offre produit.

    ça sera intéressant de voir comment nos 4 parlementaires vont se positionner, avec un lobbying possible de Rubis, Vito, Total, Esso et autres politiques qui agiteront le spectre du manque à gagner sur la TICPE pour la région afin de ne pas investir en équipements nécessaires.

    A suivre……..

    JC

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    • Bonjour, en fait nous avons été un peu « débordés » et nous avons eu du mal, sur notre libre, à cumuler les rendez vous, continuer à faire nos recherches et poursuivre la création de ce contre pouvoir citoyen. Je pense que la prochaine étape sera de créer l’association. Je prends connaissance des éléments que vous portez à ma connaissance et je vais essayer de vous répondre très vite….

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