Ne pensez-vous que quitte à nous prendre pour des imbéciles, nous Corses, autant que cela soit fait avec intelligence. Or, en la matière, Rubis (Vito) ne prend même pas cette peine.
Corse Matin a publié le 18 juin 2018 un long article sur l’essence trop chère. A cette occasion, j’ai eu un entretien avec la journaliste Caroline Marcelin suite à mes publications.
J’avais attiré son attention sur 2 points :
- Le fait que la société DPLC (les Dépôts Pétroliers de La Corse) ne publie plus aucun compte depuis 2009
- La situation de plus en plus monopolistique de Rubis (Vito) en Corse.
Les réponses apportées par les intéressés dans l’article sont assez troublantes.
Le directeur de DPLC, Didier Clot affirme que la non publication des comptes « n’a rien à voir avec le sujet » et « préfère ne pas en parler ».
En somme, bon peuple de Corse, circule il n’y a rien à voir.
Malgré l’obligation de publier ses comptes, DPLC passe outre. Ainsi rien ne permet de corroborer les 12 millions d’euros que Didier Clot prétend avoir investis depuis 2013 dans les dépôts pétroliers.
Une position d’autant plus étrange que, par exemple, la société « les Docks de Pétrole d’Ambès » qui gère des dépôts pétroliers dans le sud ouest publie, elle, ses comptes chaque année.
De plus, Corse Matin affirme que l’Autorité de la Concurrence n’a jamais été saisie, ce que ne contredit pas Vincent Perfettini le directeur de Vito Corse.
Voila qui est très étonnant, parce que justement l’autorité de la Concurrence a été saisie, en 2009, par … le groupe Rubis lui-même.
Cette saisine a été réalisée dans le cadre d’une opération visant à l’acquisition par Rubis du réseau de stations-service de la Société des Pétroles Shell en Corse et de 10,5 % de ses titres dans DPLC, d’une partie du réseau de stations-service de la société Total Corse et de 25 % de ses titres dans DPLC.
La décision de l’autorité de la concurrence est instructive !
(http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/09DCC94decision_version_publication.pdf)
Ainsi, en 2009, selon l’Autorité de la Concurrence, la prise de participation de 35,5 % du groupe Rubis au capital de DPLC n’est pas de nature à lui conférer de droits excédant ceux normalement consentis à un actionnaire minoritaire pour protéger ses intérêts financiers.
On y apprend que « d’après les statuts de DPLC, les décisions stratégiques sont prises par le comité de direction au sein duquel chaque associé est représenté par des personnes physiques disposant des droits de vote de l’associé. Le comité de direction délibère à la majorité, sauf pour certaines décisions prises à la majorité des deux tiers qui relèvent de la protection des intérêts financiers des actionnaires minoritaires, telles que les modifications statutaires, l’augmentation, l’amortissement ou la réduction du capital, la transformation de la société en une autre forme sociale, ou la dissolution anticipée de la société »
Or, sans que plus jamais l’autorité de la concurrence ne soit saisie, la participation de Rubis est passée de 35.5% à 75% (rachat de la participation de BP fin 2017). Total et Esso se partageant les 25% restants. Une majorité écrasante de Rubis qui peut, sans mal, imposer ses décisions et, donc, ses prix.
En ce qui concerne le maillage des stations-service, l’Autorité de la Concurrence avait noté que, dans les zones où Rubis était majoritaire, on assistait à rééquilibrage.
Or, fin 2017, Rubis (sans saisir l’autorité de la concurrence) a racheté le réseau BP. Ainsi, le rééquilibrage du réseau, valable en 2010, n’est plus d’actualité en 2018.
Si la part de marché moyenne de rubis sur les 8 zones étudiées par l’Autorité de la Concurrence était de 48.2% en 2010, elle est passée à 66% en 2018 !!
L’analyse livrée par l’autorité de la concurrence a la mérite de nous montrer que les raisons pour lesquelles l’entrée de rubis dans le marché insulaire pouvait apparaitre pertinente, auraient sans doute conduit à un refus de voir Rubis prendre 75% de DPLC et devenir majoritaire dans les zones géographiques étudiées.
Il apparaît pas illogique que Rubis et ses représentants taisent un avis qu’ils ont pourtant eux-mêmes demandés. Et, on comprend mieux pour quelle raison, ils n’ont plus jamais saisi cette instance.
Cependant, il est bon de savoir que l’Autorité de la Concurrence peut être saisie par :
- les entreprises,
- le ministre chargé de l’économie,
- les collectivités territoriales,
- les organisations et chambres professionnelles,
- les organisations syndicales,
- les organisations de consommateurs
Une réaction (notamment la saisine de l’Autorité de la Concurrence) serait d’autant plus salutaire que les effets de la concentration sont de plus en plus contraires aux intérêts économiques de l’île mais provoquent, également, des difficultés sociales liées à la vulnérabilité énergétique pour les dépenses de carburant dans une ile marquée par la pauvreté, la précarité et le chômage.
Vous l’avez constaté à chaque fois que la cherté de l’essence vient sur la table, on nous sert les mêmes causes :
- les taxes
- l’insularité
- le réseau routier compliqué
- la saisonnalité
- le maillage important dans l’ile et le nombre d’employés par station
Certes ces explications sont en partie vraies, je les avais même évoquées dans une publication https://fpolettiblog.com/2018/01/18/corse-quand-faire-le-plein-dessence-devient-un-luxe/
Que les prix augmentent en raison des taxes, du prix du baril, de la conversion euro-dollar, on le comprend.
Qu’un écart puisse s’expliquer en raison des spécificités de la Corse, on peut l’admettre.
Mais, ce qui est incompréhensible, c’est l’augmentation de cet écart entre la Corse et le Continent au fil des années.
Pour nous en convaincre, il suffit de mesurer l’écart depuis 2007. Prenons pour cela, les Bouches du Rhône et les montagneuses Hautes Pyrénées.
Pourquoi ces deux départements ?
Parce qu’en Corse, dans les Bouches du Rhône et dans les Hautes Pyrénées, les distributeurs négocient les approvisionnements en se basant sur une cotation identique (Platt’s med). Le coût du produit entre la Corse, les Hautes Pyrénées et les Bouches du Rhône est donc identique.
Or, entre 2007 et le premier semestre 2018, nous constatons que l’écart (hors TVA) a augmenté :
- pour le Gazole :
>de 38% entre le réseau insulaire et le réseau Grande et Moyenne Distribution (GMS) des Bouches du Rhône
>de 45% entre le réseau insulaire et le réseau traditionnel des Bouches du Rhôn
>de 29% entre le réseau insulaire et le réseau GMS des Hautes Pyrénées
>de 74% entre le réseau insulaire et le réseau traditionnel des Hautes Pyrénées.
- pour le SP 95:
>de 60% entre le réseau insulaire et le réseau Grande et Moyenne Distribution (GMS) des Bouches du Rhône
>de 41% entre le réseau insulaire et le réseau traditionnel des Bouches du Rhône
>de 54% entre le réseau insulaire et le réseau GMS des Hautes Pyrénées
>de 56% entre le réseau insulaire et le réseau traditionnel des Hautes Pyrénées.
(La TVA sur les carburants est de 13% en Corse et de 19.6% (jusqu’au 1er janvier 2014) et 20% (depuis 2014) sur le continent)
Ce qui interpelle c’est que cet écart, aussi bien pour le gazole que pour le SP 95, a explosé depuis l’arrivée de Rubis (Vito) en Corse (fin 2009)
Il serait plus qu’intéressant de demander aux représentants de Rubis (Vito) comment ils expliquent l’augmentation de l’écart, ce qui est différent que de justifier l’écart.
Avant d’aller interpeller votre pompiste habituel, il faut comprendre que le pétrolier répercute dans le prix insulaire 3 postes propres à l’ile : le transport primaire entre la raffinerie (Fos) et les dépôts pétroliers, le coût du stockage (DPLC) et le coût du transport secondaire (entre les dépôts pétroliers et les stations-service).
Le transport primaire : C’est DPLC (détenu à 75% par rubis) qui gère ce transport. Nous n’avons aucune information sur les modalités du contrat liant DPLC et l’armateur chargé de transporter le carburant depuis Fos.
Tout juste savons-nous que la Socatra vient de remporter le contrat d’approvisionnement en hydrocarbures de la Corse. Ce contrat prendra effet fin 2018 pour une période de 3 ans.
Exit, donc, Sea Tankers. L’armateur Bordelais Socatra est déjà prestataire de Rubis dans d’autres zones géographiques (Antilles)
Le stockage : C’est donc le cœur de métier de DPLC. Mais c’est aussi la partie la plus opaque puisque plus aucun compte n’est publié depuis l’arrivée de Rubis au capital.
On peut supposer qu’avec 75% du capital Rubis peut décider du prix du stockage.
Notons que le bénéfice réalisé par DPLC peut être partagé entre les associés (Rubis pour 75% et Total-Esso pour 25%). Et, surtout, que le prix du stockage est répercuté à la pompe.
Le transport secondaire : DPLC ne se charge pas du transport du carburant entre les dépôts et les stations-service. Total, Esso et Vito font donc appel à des transporteurs privés habilités aux transports des matières dangereuses. Mais, là encore, aucune information sur les modalités de contrat entre les pétroliers et ces transporteurs privés.
Quand on mesure l’impacte sur l’économie insulaire du prix des carburants, quand on constate la détresse sociale que provoquent des prix élevés des carburants, la question n’est plus de savoir pourquoi l’essence est si chère mais comment ramener les prix dans des barèmes tolérables pour la Corse.
Economiquement et socialement la Corse ne peut pas accepter de tels prix.
Dans les Antilles, les compagnies pétrolières sont tenues à une transparence financière. Une transparence qui permet aux préfets de fixer mensuellement les prix maximums des carburants.
Sur les niveaux de consommation annuelle de 2015 (soit 200 millions de litres de Gazole et 80 millions de litres de SP95), pour chaque centime d’écart injustifié c’est 2 800 000 € par an qui sont retirés à l’économie insulaire !!
Dans ces conditions, il n’est pas admissible de laisser Rubis gérer avec tant d’opacité un secteur aussi stratégique pour la Corse, pour son économie et ses habitants.