En Corse, nous cultivons les dogmes aussi surement que les clémentines ou la vigne. Et, en matière de dogmes, nous sommes sacrément productifs.
Si nous en doutions, la fameuse crise des déchets nous en apporte une preuve éclatante.
Ah les déchets ! Nous savons tous que nous en créons. Nous savons tous qu’il faut les traiter. Mais, bien évidemment, personne ne veut que cela se fasse près de chez lui. C’est bien mieux dans une autre commune, dans une autre microrégion. Et 360 communes qui se renvoient la balle, on n’a pas fini de jouer. Sauf, que la production de déchets, elle, ne se met pas sur pause.
En fait, les déchets c’est comme l’or. A ceci près que pour l’or c’est sa rareté qui fait sa valeur, pour les déchets c’est leur production permanente.
De plus, l’expérience napolitaine, nous a appris que la mafia qui avait fait main-basse sur le traitement des ordures, ne voyait pas d’un bon œil le concept du « zéro déchet ».
Depuis, le début de cette énième crise, nous lisons, de-ci de là, certains appeler à forcer la grande distribution à revoir sa politique d’emballage. Comme si nous pouvions la faire plier.
D’autres, encore, exigent des Corses qu’ils aillent à l’épicerie pour acheter au détail leurs courses. Ce qui constitue un oubli, presque insultant, de la large partie de la population qui vit dans la pauvreté ou à peine mieux.
Et, il y a ceux qui fustigent le tourisme. De toute façon, peur eux, dès qu’il y a un problème c’est forcément à cause des autres et de l’ailleurs.
Plus sérieusement, il conviendrait de bien comprendre ce que représente la gestion des déchets sur l’île.
En 2015, la Corse c’est 645.19 kg/hab. de DMA (déchets ménagers et assimilés hors gravats) collectés par habitant. Ce nombre a baissé de 17.35% depuis 2005 mais cela reste le plus fort ratio par habitant des régions françaises. C’est même dans le TOP 5 des plus forts ratios de tous les départements.
Ce qui signifie que les Corses produisent le plus déchets. (Bien entendu on peut rajouter les décharges sauvages qui échappent à la collecte et dont le phénomène échappe à la statistique.)
Ce qu’il est intéressant de noter c’est que, sur la période 2005-2015, le ratio poids de DMA collecté par habitant de la Haute Corse a baissé de 40.4% et celui de la Corse du Sud a augmenté de 34.5%.
Ce décalage entre la Haute Corse qui réduit ses déchets et la Corse du Sud qui les augmente est difficilement explicable.
On constate une chose, l’adhésion tardive de la CAPA au Syvadec qui a eu lieu en 2013. Or la CAPA représente 56% de la population du département de Corse du Sud.
Pour rappel, le Syvadec est un syndicat de traitement des déchets à vocation régionale. Créé le 13 juillet 2007, il exerce sa compétence en lieu et place des intercommunalités adhérentes. Sa mission principale est de valoriser les déchets triés par les collectes séparatives de ses collectivités adhérentes ou de ses recycleries et de traiter les déchets résiduels non valorisables. Mais, il a également une mission de sensibilisation pour la réduction des déchets.
Le Syvadec met en œuvre la politique de gestion des déchets de Corse autour d’un projet régional de traitement des déchets, le PPGND établi préalablement par la Collectivité Territoriale de Corse.
A ce sujet, il est bon de savoir que le statut Joxe de 1991 a transféré à la région la compétence en matière de déchets. Depuis, avec le processus de Matignon en 2002, les responsabilités de la CTC ont été élargies
Ainsi Article L4424-37 du code général des collectivités territoriales stipule que le plan régional de prévention et de gestion des déchets prévu à l’article L. 541-13 du code de l’environnement est élaboré, à l’initiative de la collectivité territoriale de Corse.
On peut ainsi définir les grandes étapes de politique des déchets de la CTC
- 1995 : L’Office de l’Environnement de la Corse lance l’étude sur le Plan d’Élimination des Déchets Ménagers et Assimilés (PIEDMA)
- 2002 : Le PIEDMA de Corse est acté par la Préfecture.
- 2006 : Le SYVADEC est créé afin de réaliser en collaboration avec l’OEC les conditions de préfiguration de la mise en œuvre du PIEDMA par la réalisation des études nécessaires. .
- 2008 : L’Assemblée de Corse lance la procédure de révision du PIEDMA, et le Président de l’Office de l’Environnement de la Corse préside la commission de révision du PIEDMA.
- 2009 : Le projet de révision du PIEDMA est gelé.
- 2010 : La nouvelle Assemblée de Corse, le 30 octobre 2010, engage la mise en révision du PIEDMA et du PREDIS, et la délibération du 25 novembre 2010 acte le renoncement au traitement thermique des déchets. La reprise de la révision du PIEDMA se fait sous la compétence de la Collectivité Territoriale de Corse, avec l’Office de l’Environnement de la Corse. Le Président du Conseil Exécutif confie à Mme Maria GUIDICELLI, Conseillère Exécutive, la politique des déchets, pour laquelle elle préside la Commission de Suivi et d’Évaluation des Plans Déchets (CSE).
- 2011 : Suite au programme urgent de travail mis en œuvre sous la compétence entière de la région, activement développé en large concertation au sein de la CSE, la commission valide l’organisation technique globale – OTG (schéma directeur) à conduire. Ces nouvelles orientations stratégiques ont prédéfini les études et les choix à mener pour l’ensemble des nouveaux plans déchets.
- 2011 – 2013 : Réalisation des études et de l’ensemble du processus de révision du PIEDMA qui doivent aboutir à la validation du Plan PGDND par l’Assemblée de Corse.
- 2015 : Le Plan de Prévention et de Gestion des Déchets Non Dangereux est adopté
De blocage par l’Etat, en révisions, en changement d’orientation avec la suppression de l’élimination thermique, la mise en place d’un plan de prévention et de gestion a pris un temps énorme. Et, pendant ce temps, nous avons continué à produire des déchets.
Mais revenons à nos 211 161 tonnes de déchets collectés en Corse en 2015. Qu’en avons-nous fait ?
Et là, le constat est sans appel. La Corse stocke 70% de ses déchets soit plus de 3 fois plus que la moyenne des autres régions françaises (20%). Et la Corse valorise nettement moins que la moyenne des autres régions 20% contre 46%.
De plus, toutes les autres régions pratiquent l’élimination thermique, en moyenne 32%, la Corse, elle, ne pratique pas ce type d’élimination suite à l’abandon du projet de l’incinérateur en 2010.
Notons qu’il s’agit d’une incinération avec récupération d’énergie.
Si, maintenant, nous comparons la Corse avec des départements collectant la même quantité de déchets que la Corse à +/- 15%
La Corse valorise plus de deux fois moins que la moyenne de ces départements et stocke deux fois plus que la moyenne de ces départements.
A noter, également, que tous ces départements pratiquent l’élimination thermique (18% des déchets collectés) avec récupération thermique (sauf la Charente qui incinère sans récupération d’énergie)
Ainsi nous voyons, en comparant, que nous devons nettement améliorer notre valorisation des déchets collectés (valorisation matière et organique). Cela passe par le tri à la source mais également par la capacité à la mettre en œuvre (car sinon à quoi bon trier)
Mais, il se pose également, la question de l’élimination thermique des déchets collectés.
Et, c’est là que nous semblons rentrer dans le dogme le plus absolu. Car dans une île où certains n’hésitent pas à mettre leur clim à fond, à prendre leur voiture pour faire 150 mètres et où une poubelle sur un terrain se transforme en décharge sauvage en quelques jours, nous avons refusé l’incinérateur ! C’est même devenu un mot grossier.
1er argument : nous n’avons pas assez de déchets pour faire fonctionner un incinérateur.
C’est faux ! En effet, si la Corse incinérait 32% de ses déchets collectés (moyenne régionale), cela représenterait 65 571 tonnes. Soit la quantité qu’élime la Corrèze avec son incinérateur d’Egletons Mieux l’énergie récupérée permet de chauffer les bâtiments publics
2ème argument : c’est dangereux pour la Santé.
Cela semble incorrect. Pour s’en persuader, il est souvent fait référence à l’incinérateur de Monaco en plein centre de la ville. A moins de penser que les Monégasques soient suicidaires.
S’il ne faut pas écarter que les mauvaises pratiques des débuts de l’incinération ont pu avoir des effets nocifs sur la santé des riverains d’installations. Aujourd’hui, les émissions des incinérateurs font, en effet, l’objet d’un encadrement qui a été fortement renforcé lors des deux dernières décennies. Sous l’effet de ces réglementations, l’amélioration du parc des UIOM a produit, en 10 ans, des résultats spectaculaires. En effet, entre 1995 et 2006, alors que la quantité de déchets n’a cessé d’augmenter, on observe que :
- les émissions de dioxines de l’ensemble des incinérateurs français sont passées d’une émission totale annuelle de 1 090 g à près de 8,5 g, soit plus de 100 fois moins.
- Les émissions de mercure ont, par exemple, été divisées par 7, grâce à l’amélioration du traitement des fumées des incinérateurs, mais aussi parce que les ordures ménagères contiennent désormais moins de mercure.
- Les émissions de plomb sont quant à elles passées de 72 tonnes en à 5 tonnes.
3ème argument : c’est un obstacle au développement du recyclage et de la prévention
Faux ! Les pays qui ont le plus recours à l’incinération, comme l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark, tendent à valoriser davantage de déchets par recyclage ou compostage que la France, et à réduire fortement le recours au stockage.
Alors, en tant que simple citoyen qui devant la crise des déchets a simplement voulu se renseigner, je veux bien qu’on écarte l’incinérateur mais alors sur la base d’arguments solides et probants. D’autant plus, que les autres iles de méditerranée comme la Sardaigne ont fait le choix de l’incinérateur.
Les statistiques de l’Europe montrent, également, que moins on incinère plus on utilise le stockage. Or, enfuir tout et n’importe quoi ne génère pas de fumée mais pollue en silence et de manière invisible.
Dès fois, le génie ce n’est pas inventer ce qui n’existe nulle part, mais adapter au mieux ce qui se fait ailleurs…