Corse: la route des ânes

En Corse, nos routes sont tellement belles que même les vaches aiment s’y promener ! Forcément, il se dit que notre réseau routier, si important pour notre développement économique, a été construit sur les vieux sentiers muletiers…

C’est connu, l’amélioration du transport des personnes et des marchandises influe positivement sur la croissance du PIB. Accélération des échanges, réduction des stocks, augmentation des zones de chalandises : autant de nos notions que nos mules et nos vaches ignorent.

Pour convaincre les sceptiques, il suffit de constater comment avec les moyens de transports (notamment, les principales agglomérations se sont rapprochées de Paris.

Entre 1957 et 2017, la France a étréci de manière spectaculaire.

Et, je devine une question qui brûle vos lèvres : La France c’est bien beau mais chez nous ? Question pertinente je vous l’accorde !

Si nous devions dater le début de la grande préoccupation de nos élus pour nos jolies petites routes, nous fixerions le 13 mai 1991. Date à laquelle l’Etat a transféré tout le patrimoine relatif au réseau routier national ainsi que la compétence en matière de gestion à la Collectivité Territoriale de Corse.

Pas fous, nos élus d’alors (Jean Paul de Rocca Serra (père de Camille) et Jean Baggioni y sont allés à reculons.

En effet, à cette époque, un schéma d’aménagement établi par l’Etat et examiné par le Conseil d’Etat, préconisait la réalisation d’un vaste programme de modernisation du réseau existant, et de construction de voies nouvelles. Ce schéma avait reconnu le retard par rapport aux autres régions.

Nos élus ont refusé le transfert de compétence sans les moyens financiers adéquats : délibération du 17 décembre 1992 réaffirmé dans celle du 30 novembre 1992

C’est ainsi que la délibération 95/134 AC du 22 décembre 1995 l’assemblée de Corse a adopté un schéma directeur des routes nationales de Corse.

Ce schéma directeur prévoyait 5,585 milliards de francs (851,430 millions d’euros) sur :

  • RN 193 : Ajaccio Bastia (tunnel sous Vizzavona inclus !!) (53% des investissements)
  • RN 196 : Ajaccio Bonifacio (15% des investissements)
  • RN 197-RN 1197 : Ponte-Leccia Calvi (1% des investissements)
  • RN 198 : Casamozza Bonifacio (28% des investissements)
  • RN 200 : Corte Aléria (3% des investissements)

Soit 2,175 milliards de francs pour la Corse du Sud et 3,408 milliards de francs pour la Haute Corse. Ce qui correspond à une logique de bassins économiques sachant que les deux départements allaient profiter de l’ensemble des investissements d’intérêt régional

Les objectifs de ce schéma directeur étaient:

  • Ajaccio Bastia : temps trajet 1h54 vitesse moy. 80 km/h
  • Ajaccio Porto-Vecchio : temps trajet 1h53 vitesse moy. 77 km/h
  • Ajaccio Corte : temps trajet 1h01 vitesse moy. 82 km/h
  • Ajaccio Calvi : temps trajet 2h05 vitesse moy. 83km/h
route objectifs schéma directeur

Pour le mettre en œuvre, la Corse allait bénéficier de plusieurs sources de financement:

  1.  Le document unique de programmation 1994-1999 : les projets relatifs aux routes devaient mobiliser au total 75.31 millions d’euros
  2. Le document unique de programmation 2000-2006: les projets relatifs aux routes devaient mobiliser au total 45.73 millions d’euros.
  3. Le PEI: dans la convention initiale, les projets relatifs aux routes devaient mobiliser 1126.6 millions d’euros soit 58% du PEI.

Soit un total de 1,248 milliards d’euro bien supérieur aux 854.4 millions d’euros d’investissements prévus par le schéma directeur des routes.

En 2018, soit 23 ans plus tard, après avoir consommé les docup (1994-1994 et 2000-2006) et alors que le PEI touche à sa fin, le résultat est consternant.

Loin de gagner en temps de trajet par rapport aux temps listés dans le diagnostic du schéma directeur de 1995, le parcours Ajaccio Bastia a perdu 12 min, Ajaccio Porto-Vecchio 15 min, Ajaccio Corte 10 min et Ajaccio Calvi 21 min !!!

route réalité des temps de trajet

On roule en moyenne à 56 km/h sur les routes nationales corses alors qu’entre Paris et les 5 plus grosses agglomérations la vitesse moyenne est de 100 km/h et en Sardaigne, entre Cagliari et les principaux points de l’île, on roule à 92km/h de moyenne !!

route temps de trajet ailleurs

Alors que s’est-il passé?

De Jean Baggioni à Paul Giacobbi en passant par Ange Santini, le constat reste le même. (L’évaluation de la mandature actuelle ne peut être faite car son action n’est pas encore analysable)

L’absence totale de suivi rend compliquée la recherche des causes d’un tel échec. On ne peut s’appuyer que sur 2 rapports de la cour régionale des comptes (celui de 2002 relatif à la gestion de la CTC périodes 92 et suivantes et celui de 2016 sur l’utilisation du PEI) ainsi que sur le rapport du comité d’évaluation des politiques publiques de la CTC (mis en place par la nouvelle majorité) portant sur le PEI.

Il y apparaît plusieurs points:

  • Carence au niveau de l’ingénierie publique

Ainsi, il est noté que dès le rapport préparatoire du PEI, cette carence avait été anticipée par la création d’un poste « assistance à maitrise d’ouvrage » dotée d’une enveloppe de 68.6 millions d’euros.

Cependant, dès la première convention cadre de 2002 (relative au PEI) cette enveloppe a été divisée par 2.

Mais, en 2016 seuls 45 000 euros avaient été affectés à ce poste … pour la réalisation d’un site internet !

Cette carence d’ingénieure publique a eu pour conséquence une faiblesse d’exécution sur la sous mesure route du PEI. Au 31/12/2017, 450.52 millions d’euros programmés sur un coût objectif final de 529.63 millions d’euros au lieu de 1 126.6 millions d’euros !!

A titre de comparaison le Viaduc de Millau a couté 400 millions d’euros et il a été construit en 3 ans.

  • Des retards inexpliqués et dans changements d’orientation de dernière minute

Ce second point (lié au premier) est relevé par la cour des comptes en 2002. Sur les 14 opérations envisagées (schéma directeur des routes de 1995), 5 seulement ont été achevées avant la fin de l’année 2000 (à quelques travaux près). En revanche, si parmi les 9 opérations restantes 3 ont été entamées tardivement et seront achevées dans le courant de l’année 2002 (Déviation de Corte – Soveria ; Pisciatello – Cauro et Fajo – Casaperta), 6 opérations programmées n’ont reçu aucun « coup de pioche » pour des motifs divers.

Entre 2003 et 2009, les 50 opérations programmées se sont répartis globalement en la création de 22 km de voies nouvelles, 150 km de sections modernisées sur RD structurants, et 30 aménagements ponctuels. Presque aucune de ces opération n’étaient listée sur le schéma directeur des routes de 1995.

Parmi les grosses opérations sur RN, seul le nouveau pont d’Abra avait été mis en service.

  • Des « soupçons » de saupoudrage

Les différents rapports notent un dévoiement du PEI dont les investissements devaient porter sur des projets structurant à dimension régionale. En effet, une part du PEI a été portée sur des projets communaux ou infra communaux. IL est constaté que cette aide exceptionnelle a facilité l’octroi par la CTC de larges subventions aux communes et intercommunalités. Ces dernières ont ainsi bénéficié, directement et indirectement, du PEI.

  • Des procédures et des coûts non ou peu maîtrisés

Par exemple, le rapport de la CRC de 2002 note que la procédure relative à la déviation de Bocognano, réalisation prévue avant 2000, lancée en 1998, a été contestée et annulée par le tribunal administratif de Bastia. Les travaux ont été retardés de plusieurs années.

C’est ainsi que le non respect des règles des marchés publics a provoqué le retard de plusieurs opérations contrôlées par la cour régionale des comptes.

La première opération financée à l’aide du PEI a été… le pont d’Abra sur l’axe Ajaccio Bonifacio. Au-delà de la pertinence qu’une telle opération soit le premier projet route du PEI, l’axe Ajaccio Bastia était économiquement beaucoup plus important, cette opération avait été budgété à 6 millions d’euros. Une dizaine d’années plus tard, sa réalisation aura couté 13 millions d’euros soit le double !

Par aggraver la situation, sur 25 opérations contrôlées par la cour des comptes, la concurrence a été faible voire inexistante. Ce qui conduit à une augmentation du prix des marchés attribués par rapport à l’estimation initiale. Et, quand certains maitres d’ouvrages ont lancé une nouvelle consultation, en raison de l’absence de concurrence, cela a conduit à allonger les délais de réalisation.

Alors que la Corse arrive à la fin du PEI, une chose est sure : concernant la modernisation du réseau routier, ce n’est pas le wagon qu’elle a raté mais le train entier.(quoique en matière de train….)

Si la France a étréci en matière de distance en temps de trajet, la Corse s’est agrandie au point d’être aussi grande que le continent français.

Un des maux de notre Ile est le clientélisme. Depuis 2014, une vague de « dégagisme » a balayé le paysage politique insulaire. Cependant, il ne faut pas oublier que pour qu’il y ait du clientélisme, il faut des clients.

Moraliser la vie politique c’est bien mais mettre à l’abri les Corses des ambitions électoralistes de certains c’est mieux. Et, pour cela, le développement économique semble être la meilleure voie.

La modernisation du réseau routier aurait pu être un des moyens de repenser notre économie.

16 ans après l’attribution du PEI, force est de constater que le rendez vous a été manqué.

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