Le magazine Forbes a publié en 2013 un classement des hommes les plus riches du monde. Quoi de neufs chez les plus grosses fortunes? Et, bien… figurez-vous que ce petit monde de nantis s’agrandit. En effet, le nombre de milliardaires de la planète augmente – ils sont actuellement 1426- et leur fortune cumulée s’établit à 5 400 milliards de dollards. (Ces deux chiffres sont des records).
Si on cherche à comparer en smic, ces 1 426 milliardaires représentent en gros 262 millions de smicards français.
Si l’on creuse un peu plus, on constate que le nombre de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté dans le monde s’est, lui, rétracté, passant de 1.9 milliards en 1981 à 1.3 milliards en 2008. (Banque mondiale)
Mais en regardant plus en détail, nous constatons que ce seuil d’extrême pauvreté est estimé à 1.25 dollars par jour soit moins de 40 dollars par mois. Ce qui placerait nos smicards au rang de privilégiés.
Pendant ce temps là, en France le nombre de personnes vivant sous le seul de pauvreté (60% du revenu médian soit 964 euros mensuel) a augmenté d’un million de personnes entre 2008 et 2010.
C’est là que réside tout le paradoxe de la mondialisation. En délocalisant, les entreprises produisent à un coût infiniment moins élevé. Ce faisant, cela permet la diminution du nombre de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté dans le monde. Et, il serait gênant de ne pas reconnaitre cet avantage. Mais la délocalisation provoque chômage et précarité dans les pays dits développés. Et, il serait absurde de ne pas le constater.
Délocaliser peut résulter de deux raisons. Une raison de survie économique : pour rester compétitive une entreprise doit baisser ses prix et elle se trouve dans l’obligation de réduire ses coûts. Une raison capitalistique : pour distribuer plus de dividendes à ses actionnaires et/ou proposer des salaires plus élevés aux dirigeants, on opte pour produire à moindre coût.
Dans le premier cas, il est difficile de critiquer l’entreprise qui essaye de se sauver. Il se pose plutôt le problème d’orientation économique d’un pays qui se doit de transformer son tissu économique en misant sur des domaines qui nécessitent une main d’œuvre plus qualifiée. Ex : recherche et développement. C’est un peu c’est qui s’est produit avec l’apparition des robots dans les chaines de montage. Il ne faut pas avoir peur de poser la question de l’avenir de la sidérurgie en France, par exemple.
Dans le second cas, se pose un problème d’ordre social ou politique. Celui de l’indécence d’une fortune ou d’une rémunération. Existe-t-il une limite ? Une limite au-delà de laquelle un nombre de plus en plus réduit de personnes détient une richesse de plus en plus élevée qu’ils se transmettent de père en fils. Si depuis la révolution française, régulièrement les guerres renouvelaient la classe des nantis, depuis la seconde guerre mondiale, nous retrouvons les mêmes familles de privilégiés ce qui renforce le sentiment d’injustice sociale
Ne faut-il pas se poser la question de la coexistence des plus forts salaires avec les plus faibles revenus au sein d’une société donnée ? Et, n’est ce pas, à terme, source de désordres sociaux ?
Au Vème siècle avant notre ère, Platon estimait que « le législateur devait établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté ». Il proposait un rapport de 1 à 4.
Plus récemment (fin du XIXème siècle) le banquier John P. Morgan (1837-1913) estimait qu’un PDG ne devait pas percevoir plus de vingt fois la rémunération moyenne de ses salariés.
Aujourd’hui, ce rapport entre plus hauts salaires et plus bas salaires a totalement explosé. Le système économique, qui est le notre, est incapable de réguler cet écart.
Les demandeurs sont de plus en plus gourmands (qui n’aurait pas envie de gagner 1000 fois le smic tous les mois ?). Et, les offres sont, de plus en plus, affolantes (qui refuserait de gagner toujours plus ?)
Rien ne permet de réguler l’écart hauts salaires bas salaires. Encore moins dans un monde où l’argent est devenu roi.
Certains grands patrons sont bien capables de raison, comme Louis Gallois (ancien patron de la SNCF) qui avait refusé l’augmentation très importante de son salaire au moment de prendre la présidence d’EADS. Mais, tous ne sont pas égaux devant le raisonnable.
En somme, si certains par éducation, idéologie, conviction, savent être raisonnables, tous ne savent pas l’être.
Aux Etats-Unis, pays où tout est censé être possible. Vous pouvez gagner des salaires à plus de cinq 0 voire plus. Mais, il est attendu des plus riches des actes de charité envers les plus démunis. C’est-à-dire qu’il est attendu qu’au moins une partie du salaire, celle située au-delà du décent, soit redistribuée. Et, il est vrai qu’il n’est pas rare que tel ou tel grand patron donne une partie importante de sa fortune à des associations caritatives.
En France, la solidarité ou Fraternité (vous savez le Fraternité de Liberté Egalité Fraternité) consiste à attendre de l’Etat qu’il protège les plus faibles. Notre société ne mise pas sur la charité. D’ailleurs, restaurant du cœur ou ce genre d’associations caritatives, si elles sont devenues fondamentales se trouvent en contradiction philosophique avec notre devise. Leur existence même est la limite de la Solidarité républicaine.
C’est là que se pose la question de la partie du salaire située au-delà du décent. Car, cette partie est bien prise quelque part.
Pour que la Fraternité puisse s’exercer, il faut qu’elle puisse être redistribuée à destination de ceux qui souffrent.
Pour cela, il y a deux possibilités. Soit intervenir en amont en limitant le rapport entre hauts salaires et bas salaires ou salaires médians au sein d’une même société. Soit, en aval, avec des impôts qui taxeraient de manière plus forte la partie du salaire située au-delà du décent.
Reste une question de poids : comment déterminer la limite entre le décent et l’indécent?
Tout ce que je peux dire c’est que, quand Liliane Bettencourt et Bernard Arnaud assis sur deux chaises discutent, nous avons, autour de cette table, une fortune cumulée de 45 milliards d’euros . Or, caser 2900 smicards sur deux chaises ne semble pas très normal.
Au fait, Fraternité républicaine dans « Liberté Egalité Fraternité » n’est elle pas une forme d’entraide entre citoyens visant un monde meilleur ?